Russie: Alexeï Navalny, le « masque de fer » de Vladimir Poutine
Les partisans d’Alexeï Navalny ont lancé une campagne internationale pour demander sa libération et pour attirer l’attention sur son sort. Alexeï Navalny, 46 ans, qui purge une peine de 9 ans de réclusion dans une colonie à « régime sévère », a été arrêté dès son arrivée à l’aéroport de Moscou le 17 janvier 2020. Il venait de Berlin, où il avait été hospitalisé après son empoisonnement à un agent innervant. De sa cellule, dans des conditions de détention éprouvantes, il poursuit son combat.
Lorsqu’il est arrivé à l’aéroport de Moscou le 17 janvier 2020, de retour de sa convalescence en Allemagne, 5 mois après son empoisonnement, Alexeï Navalny a pris quelques secondes dans les couloirs de l’aérogare devant un panneau représentant le Kremlin, pour adresser quelques mots à ses partisans : « Je n’ai peur de rien et je vous demande aussi de ne pas avoir peur ». Mais à peine le contrôle des passeports franchi en compagnie de son épouse et de son avocate, il était arrêté par des policiers et immédiatement placé en détention.
« Il a fait un acte héroïque en décidant de rentrer en Russie, parce qu’il est, bien sûr, l’opposant personnel de Vladimir Poutine. Pourvu qu’il survive », s’inquiète Lev Ponomarev, 81 ans, cofondateur de l’ONG Memorial et président de l’institut Sakharov à Paris. « Les autorités pénitentiaires essaient de pousser Navalny à la folie ou au suicide », affirme le défenseur des droits de l’homme russe, exilé en France, où il a obtenu l’asile politique. Selon lui, les gardiens de prison mènent une « expérience médicale » sur le prisonnier Navalny, testant sa résistance, avec l’approbation du Kremlin « qui continue d’essayer de le tuer en créant pour lui des conditions de vie insupportables ».
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Dans sa colonie pénitentiaire « à régime sévère », l’opposant est régulièrement envoyé en cellule disciplinaire ou d’isolement : il y a fait 11 séjours en deux ans, pour des infractions mineures au règlement, comme laisser un bouton de sa chemise déboutonné. Sa famille et ses proches s’inquiètent du fait que son état de santé se dégrade avec des conditions de détention qui ne cessent de se détériorer. « Mon père a passé plus de trois mois en cellule disciplinaire. C’est une petite cellule de 2 mètres sur 3 qui ressemble plus à une cage pour un homme qui mesure près de deux mètres », raconte, en anglais, sa fille, Dasha Navalnaya, étudiante à Stanford, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, dans le cadre de la campagne internationale de soutien.
Une cellule de deux mètres sur trois
À la mi-janvier, plusieurs centaines de médecins russes ont signé une pétition, parue sur Facebook, appelant Vladimir Poutine à fournir des soins appropriés à Alexeï Navalny, souffrant de syndromes grippaux et affirmant être privé d’un accès satisfaisant aux médecins et aux médicaments.
Si les violences en prison ne sont pas un fait rare en Russie, l’homme, dont le président russe refuse de prononcer le nom, semble avoir droit à un traitement particulier. « C’est le prisonnier personnel de Vladimir Poutine, c’est son “masque de fer ” », estime le politologue Fedor Krasheninnikov. « Le président russe considère Navalny comme un membre de l’élite occidentale. Angela Merkel est venue le voir quand il était à l’hôpital. Et comme, dans son imaginaire, il est vu comme faisant partie du clan occidental, il le harcèle, un peu comme avec une poupée vaudou », commente ce proche de l’opposant emprisonné.
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Les soutiens d’Alexeï Navalny dénoncent régulièrement une tentative du Kremlin de le « tuer » à petit feu. « Il est torturé d’une manière plutôt ingénieuse », note Lev Ponomarev. « On fait en sorte de le malmener, sans enfreindre la loi, en le punissant par exemple pour avoir fait sa toilette avant l’heure réglementaire. Un autre détenu, n’aurait sans doute pas été envoyé en cellule d’isolement pour ça, même si le règlement intérieur est rédigé de façon monstrueuse », estime le défenseur des droits de l’homme. « On voit bien qu’il bénéficie d’un régime de détention particulier, qui a été créé de façon à lui gâcher la vie », abonde Fedor Krasheninnikov.
Amaigri, visiblement éprouvé par les journées passées à l’isolement, Alexeï Navalny continue de se battre pour faire reconnaître ses droits les plus élémentaires et intente des procès à l’administration pénitentiaire. Loin de se faire intimider, il profite de ces audiences pour lancer des messages politiques : « Vous ne me ferez pas taire avec votre cellule d’isolement. Poutine associe des centaines de milliers de personnes aux crimes qu’il commet. Il est comme la mafia, qui lie à elle par le sang des centaines de milliers de personnes », a lancé l’opposant au cours de l’une de ces audiences, où il est apparu en liaison vidéo dans une tenue visiblement trop grande pour lui.
À l’occasion du deuxième anniversaire de son incarcération, l’opposant russe a répété ces arguments publiés sur les réseaux sociaux via ses avocats, appelant ses soutiens à contester ces choix faits par le pouvoir russe : « Notre malheureuse patrie tourmentée a besoin d’être sauvée. Elle a été volée, blessée, entraînée dans une guerre d’agression et transformée en prison dirigée par les méchants les plus éhontés et les plus trompeurs. Toute opposition à ce gang – même symbolique, compte tenu de ma capacité actuelle limitée – est importante ».
Poursuivre le combat politique
L’opposant le plus sérieux à Vladimir Poutine continue à exister politiquement, même du fin fond de sa prison, estime l’ancien député Dmitri Goudkov, autre détracteur du président russe, qui a préféré fuir la Russie pour éviter le sort d’Alexeï Navalny. « En continuant à rester actif en dépit de tous les obstacles, il montre à ses partisans qu’il continue à résister envers et contre tous, et cela donne de l’espoir à beaucoup de personnes ». Selon l’ancien élu, l’opposant y était prêt, « cela ne signifie pas que les choses sont simples pour lui, mais c’est à cela que l’on reconnaît la qualité d’un homme fort, qui ne peut être brisé ».
Ne pas se faire oublier, continuer à exister du fin fond de la colonie pénitentiaire IK-6 Melekhovo, située à environ 250 km à l’est de Moscou : une gageure pour le juriste reconverti en homme politique, qui parvient à donner régulièrement des nouvelles de sa vie derrière les barreaux, dans des messages, transmis par ses avocats, où il manie l’humour mordant et l’ironie. « Des gens payent pour passer un Nouvel An original, pour moi, c’était gratuit », avait-il écrit, après sa nuit du 31 décembre passée en isolement, en compagnie d’un « voisin clochard » dépressif, obligé à faire des allers-retours entre le quartier disciplinaire et l’infirmerie où sévit une épidémie de grippe, « à croire qu’on l’utilise comme arme bactériologique. Pas étonnant qu’il soit triste », commente Alexeï Navalny.
Pour ses militants les plus actifs, qui ont dû choisir entre la prison et l’exil, où ils poursuivent leurs enquêtes sur la corruption des officiels, le comportement de l’opposant reste une source d’inspiration. Alexeï Navalny est un « homme fort, un bon orateur, un vrai meneur politique et même dans la situation qu’il vit aujourd’hui, il essaye de résister, parce qu’il comprend que s’il se mettait à écrire qu’il ne va pas bien, qu’il est déprimé, il n’améliorerait pas son sort et il anéantirait la foi de ses partisans. Même étant en prison, il s’efforce d’afficher l’optimisme pour montrer aux gens qu’il faut continuer le combat », estime Fedor Krasheninnikov, exilé en Lituanie, comme une partie de l’équipe de l’opposant.
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Durant les mois qu’il a passés en convalescence en Allemagne, Alexeï Navalny a poursuivi son travail d’investigation. Il a notamment recueilli les confessions d’un membre de l’équipe des services de sécurité, qu’il considère comme d’un des responsables de son empoisonnement en août 2020 à bord d’un avion en partance de Sibérie. Un réalisateur canadien l’a suivi durant cette période et tourné un film aux allures de thriller, en lice pour l’Oscar du meilleur documentaire.