Démographie: pourquoi les Japonais ne font-ils pas – ou pas plus – d'enfants?
Au Japon, le gouvernement vient de décréter la mobilisation générale contre la dénatalité. Moins de 800 000 bébés sont nés en 2022. Aussi peu, c'est du jamais-vu. Pour le Premier ministre, Fumio Kishida, si l'archipel ne redresse pas la barre en la matière, à terme, il « sera dans l'incapacité de pouvoir continuer à fonctionner en tant que société » et la sécurité sociale tombera en faillite dans le pays qui compte 86 500 centenaires.
De notre correspondant à Tokyo,
Seuls 2 % du Produit intérieur brut japonais sont dévolus aux politiques et aux mesures en faveur des familles. Contre plus de 3 % dans les autres grands pays industrialisés. Ces deux jeunes mamans en témoignent : il faut avoir les moyens pour mettre des enfants au monde et les élever...
« Être enceinte et accoucher m’a coûté 600 000 yens [plus de 4 000 euros, NDLR], qui ont été entièrement à ma charge puisque la Sécu considérant que la grossesse n’est pas une maladie, elle ne rembourse rien. Je ne peux pas me permettre une telle dépense une seconde fois », dit la première. Et la seconde d’ajouter : « Je ne touche que 10 000 yens d’allocations familiales par mois pour mon petit garçon [70 euros environ, NDLR]. Heureusement que je n’ai pas spécialement envie d’un deuxième enfant : je n’y arriverais pas avec mon petit salaire, le coût de la vie et, en plus, l’inflation... »
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Quand le monde du travail prend le dessus sur la vie privée
Le monde du travail japonais s’est précarisé : 40 % des salariés n’ont qu’un emploi précaire, sous-statutaire ou irrégulier. S’ajoute à cela une culture d’entreprise archaïque et souvent inhumaine. De quoi dissuader beaucoup de gens de faire des enfants...
« Mon copain et moi, on est intérimaires et rémunérés à la journée. Donc, contrairement aux salariés statutaires, on n’aurait pas droit à un congé maternité ou paternité payé. Du coup, on y réfléchit à deux fois avant de faire un bébé... », argumente une Japonaise. « Avoir un enfant supposerait que je m’absente du travail pendant plusieurs mois. Ce serait sans doute fatal à ma carrière. C’est très difficile pour les femmes de se faire une place dans ce milieu professionnel dominé par les hommes... », rappelle une autre salariée.
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« J’ai pu me marier et avoir un enfant, car mon employeur – une société américaine – m’autorise à télétravailler après 18 heures, ce qui me permet de donner un coup de main à ma femme, mais rares sont les salariés japonais qui ont ce privilège », prévient un salarié qui a fondé une famille. « Or, ça ne doit pas être d’office facile d’avoir une vie de couple épanouie et de fonder une famille quand on rentre du boulot à 23 heures... »
Ceux qui préfèrent le célibat
Et puis, de plus en plus de jeunes revendiquent le droit au célibat, à l’image de ces Tokyoïtes : « Je ne suis pas certaine que ce soit très responsable de mettre un enfant au monde dans un pays qui va aussi mal et sur une planète qui souffre autant... », pense une Japonaise.
« J’ai déjà, à la fois, peu d’argent et peu de loisirs. Marié et père de famille, j’en aurais encore moins. Non merci, sans façon... », avance un autre Japonais. « Me marier et fonder une famille me semblent encore plus stressants qu’être célibataire, donc, ça ne m’a jamais fait rêver... », explique une Tokyoïte.
Pas de mariage ni d’enfants : c’est le souhait d’un trentenaire nippon sur quatre, selon les instituts de sondages et de près de 20 % des Japonais âgés de 17 à 19 ans.